Décryptage

Face à des coûts de stage "astronomiques", des étudiantes sages-femmes envisagent d'abandonner leur formation

Près d'une étudiante sur dix abandonne sa formation en maïeutique.
Près d'une étudiante sur dix abandonne sa formation en maïeutique. © Good Studio / Adobe Stock
Par Pauline Bluteau, publié le 18 avril 2024
8 min

Pendant leurs quatre années d'études de maïeutique, les étudiantes sages-femmes dépenseront en moyenne 3.200 euros par an, rien que pour se rendre en stage. Un budget que peu d'entre elles anticipent, mais à terme, cette précarité les amène parfois à abandonner leur futur métier.

Clémence* est actuellement en quatrième année de maïeutique. Son futur métier, l'étudiante ne le quitterait pour rien au monde. Enfin presque. Une mauvaise entente avec la sage-femme référente, une garde qui se passe mal, un mauvais commentaire dans son dossier et résultat : un stage qui risque de ne pas être validé. "Je vais peut-être redoubler ma quatrième année, explique-t-elle. C'est beaucoup de pression, j'ai la boule au ventre."

Et pour l'étudiante, ce n'est pas seulement ses compétences qui sont remises en cause. "Le redoublement va être très difficile à assumer financièrement. Je ne suis pas sûre de pouvoir payer un loyer et mes stages une année de plus." Pour elle, la seule solution serait donc d'abandonner sa formation.

Près d'une étudiante sur dix abandonne sa formation

Comme Clémence, la moitié des étudiantes sages-femmes ont déjà pensé à suspendre ou arrêter définitivement leur formation. Notamment pour des raisons financières, confirme Suzanne Nijdam, porte-parole de l'ANESF (association nationale des étudiantes sages-femmes). L'association a déjà publié plusieurs enquêtes à ce sujet et le constat reste le même : un tiers des étudiantes considère leur situation financière mauvaise, voire très mauvaise.

Au total, d'après les chiffres de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques), 8% des étudiantes quitteraient définitivement leur formation en cours de route : sur les 846 diplômés en 2022, 67 étudiantes auraient abandonné. "D'après les ARS (agence régionales de santé) et la DGESIP (Direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle), on serait plutôt entre 10 et 20% d'abandons", interpelle l'ANESF(Association nationale des etudiants sages-femmes).

Si l'on ajoute les interruptions provisoires, en 2022, 18,5% des étudiantes auraient abandonné. "On a l'impression qu'il y a peu de personnes concernées, mais si on compte quatre ou cinq abandons par an, on atteint vite 10% car nos promotions sont réduites. D'ailleurs, on le voit : sur une même promotion, il y a plus d'étudiants en deuxième qu'en cinquième année. Cela montre bien qu'il y a des abandons", appuie Suzanne Nijdam.

Jusqu'à plus de 18.000 euros de frais de transport pour les stages

Toutes les étudiantes interrogées l'affirment, elles ne s'attendaient pas à devoir dépenser autant pour une formation qui se déroule pourtant à l'université. "À Brest (29), on est particulièrement exposés aux dépenses parce qu'on peut être envoyés en stage dans tout l'ouest de la Bretagne : jusqu'à Lannion, Saint-Brieuc, Vannes ou Redon", indique Jeanne, présidente de l'association locale. Soit parfois à plus de 200 voire 250 km de Brest. "Le CHU de Brest n'a pas de places pour accueillir tout le monde", confirme Anne Moal, la directrice de l'école de l'École universitaire de maïeutique de Brest.

D'après les calculs de l'ANESF, les étudiantes en maïeutique dépensent en moyenne 12.850 euros pour se rendre en stage pendant leurs quatre années de formation, donc 151 euros par semaine. Mais dans certaines écoles, le coût total des frais kilométriques peut dépasser 18.500 euros.

C'est le cas de Brest, mais aussi de Dijon (21) et de Tours (37). "On est la seule école de la région Centre-Val de Loire. On a donc la chance d'avoir des stages très variés, mais on n'a pas plus d'argent pour aller à Chartres, Bourges ou Châteauroux. Le prix de l'essence, l'inflation, c'est valable pour tout le monde et nous ne sommes pas rémunérées plus", concède Mélyne, étudiante en quatrième année à l'école de sage-femme de Tours et présidente de son association locale.

Et lorsqu'elles ne font pas les allers-retours, certaines étudiantes prennent un logement sur place. De quoi engendrer d'autres frais supplémentaires. À Brest, l'association étudiante a mis en place une liste de personnes, souvent les proches des étudiantes, pouvant les accueillir le temps du stage : "C'est du bouche-à-oreille, mais on a peu de solutions sinon", explique Jeanne.

Une indemnité kilométrique à partir de la quatrième année d'études

De son côté, Clémence, peu aidée par ses proches, continue de faire du baby-sitting entre ses gardes. Les indemnités qu'elle reçoit ne sont pas toujours suffisantes pour tenir jusqu'à la fin du mois. "En deuxième année, j'ai mis plusieurs mois à payer les frais de scolarité. Et puis, la voiture elle-même engendre des dépenses : l'essence, mais aussi l'assurance, l'entretien du véhicule, le permis… Ce que je reçois ne couvre pas tout."

Ce n'est qu'à partir de la quatrième année que les étudiantes en maïeutique peuvent prétendre à une indemnité de transport dont le montant s'élève à 130 bruts par mois. S'ajoute aussi leur rémunération en tant qu'étudiante hospitalière : 2,80 euros bruts par heure, soit entre 270 et 400 euros par mois en quatrième et cinquième années.

Pourtant, en deuxième et troisième années déjà, les étudiantes partent en stage. "Ça m'a complètement décontenancée", se souvient Valentine, en troisième année à Bourg-en-Bresse (01). Ses stages peuvent se dérouler à Lyon, Chambéry et jusqu'à Saint-Etienne. "Et sans indemnité… C'est la galère."

Thaïs, étudiante en troisième année à Dijon et présidente de l'association locale a déjà pensé à arrêter ses études. "Je pense que c'était une accumulation : quand on voit les euros défiler pour les loyers, l'essence… Je m'en voulais de demander à mes parents, parce que c'est parfois astronomique."

Peu d'avancées sur la précarité

C'est dans ce contexte que l'ANESF demande que cette indemnisation kilométrique soit étendue au premier cycle d'études (deuxième et troisième années). Un avis partagé par Claire Perrin, directrice de l'école de maïeutique de Tours. "Je déplore l'absence de dédommagement. Les étudiants ont des frais de déplacement et cela provoque un surcoût à la formation." La directrice estime "interpeller" les collectivités pour "faire bouger les choses" notamment sur l'accès aux logements pendant les stages, son seul levier d'action.

À Brest, son homologue estime qu'il est aussi parfois difficile de se rendre compte de la précarité des étudiantes. "On essaie d'être à l'écoute et on leur pose systématiquement la question en début d'année pour connaître leurs difficultés financières", appuie-t-elle. Clémence assure avoir encore du mal à admettre sa précarité. "C'est dur de dire : 'Non, je n'ai pas de sous pour tenir'. Je ne veux pas que mes acquis ne soient pas validés à cause de ça non plus."

Des abandons liés au rythme de la formation

En revanche, si les deux directrices d'écoles s'accordent sur l'augmentation de la précarité chez leurs étudiantes, elles s'étonnent du pourcentage d'abandons en lien avec les difficultés financières. "Par abandon, on entend les étudiants non diplômés qui se sont réorientés. Cela correspond à moins de 2% de nos étudiants à Brest", estime Anne Moal. "Les réorientations ont toujours existé et il n'y en a pas plus qu'avant. C'est normal de se tromper à 17 ou 18 ans", plaide Claire Perrin pour qui, interrompre sa formation peut aussi être dû à différents facteurs.

Les étudiantes citent d'ailleurs, sans hésiter, la difficulté de la formation, un rythme intensif et des stages qui ne se déroulent pas toujours au mieux. Résultat, selon l'enquête de l'ANESF, 62% des étudiantes sages-femmes présentent un syndrome dépressif, 47% un trouble anxieux généralisé et 14% ont eu des idées suicidaires au cours de l'année. Le risque de burn out, lui, augmente au fil des ans (+27% entre la deuxième et la cinquième année).

"Ces chiffres nous ont moins malheureusement moins surpris que le coût des stages", regrette l'ANESF. Le résultat est pourtant le même : la formation, qui a déjà du mal à faire le plein, continue de perdre ses étudiants en cours de route. "On est devant un dilemme : informer les étudiants sur le coût de la formation alors même qu'on n'est pas assez nombreux. On a peur que ça nous porte encore plus préjudice", confie Thaïs, à Dijon. La discussion reste ouverte.

*Le prénom a été modifié.

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