Futurs journalistes sportifs, les étudiants de l'ESJ Lille dans la peau des commentateurs
Grégoire Margotton, Hervé Mathoux, Laurent Luyat, Cécile Grès, Isabelle Ithurburu… Autant de noms – et de voix - dont le métier en fait rêver plus d'un, à commencer par les étudiants en journalisme sportif. À l’Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, ils sont 14 à s'y préparer. L’Etudiant vous emmène commenter, avec eux, un match de la Ligue des Champions, le temps d’une soirée Dortmund-PSG.
Dans leur petite salle au deuxième étage, le grand écran allumé avec l'équipe de France féminine de hand en fond sonore, les 14 étudiants en troisième année de licence professionnelle à l'ESJ en filière Journalisme du sport terminent leurs derniers préparatifs dans une ambiance plus que décontractée.
La soirée risque d'être longue : à partir de 21h00, certains vont commenter le match de la Ligue des Champions, Dortmund-Paris Saint-Germain, pendant que d'autres, "au desk", monteront le résumé du match en images.
Se mettre dans la peau d'un commentateur sportif
Après une pause gaufres bien méritée, il est temps de s'y remettre. "Il est 19h30, on a encore le temps non ?", lance Sarah. À quelques minutes du coup d'envoi, les pronostics vont de bon train : "0-1 pour le PSG", assurent les supporters de l’équipe française encore en lice.
Lucie et Thomas ont même sorti le maillot de leur équipe favorite pour l'occasion. "Je stresse, je suis super tendue, comme à chaque fois que le PSG joue mais aussi parce que c'est le commentaire et je n'aime pas cet exercice, il ne faudra pas me filmer !", plaisante Lucie.
Le premier groupe s'installe dans l'amphi pour commenter le match. Certains font les cent pas, d’autres relisent leurs notes ou vérifient les noms et les numéros des joueurs… Il est 21 heures, l'arbitre siffle le début du match et les étudiants se mettent dans la peau d’un commentateur sportif.
Jean-Philippe Goron, le responsable pédagogique de la licence donne la consigne : "Vous travaillez pour une chaîne nationale donc vous commentez sous le prisme du PSG." Le match est projeté sur un grand écran avec une bande son de supporters qui permet aux étudiants d’être dans les conditions réelles .
Commenter un match de foot : "transmettre l'émotion"
Un à un, les futurs journalistes prennent la parole, les yeux rivés à la fois sur leur ordinateur, leur téléphone et l’écran géant. Ils rappellent les enjeux et décrivent les actions des joueurs, en jetant des coups d’œil à leurs carnets remplis de notes posés devant eux. Ils alternent entre le récit et le direct, un travail qui nécessite de bons réflexes et de bonnes connaissances du jeu.
À 20 ans, le rêve de Thomas est de devenir commentateur sportif. Il a commencé tout seul à s'exercer pendant ses études de sciences politiques avant de rentrer à l’ESJ. "Quand il y a de l’enjeu c’est grisant, on sait qu’on peut transmettre de l’émotion", s'exclame-t-il. Mais le futur journaliste doit avant tout rester professionnel.
Jean-Philippe Goron les a d'ailleurs mis en garde : les auditeurs ne doivent pas sentir qu'ils sont supporters. Un défi qu'il faut relever même dans les périodes charnières : après une occasion manquée de Kylian Mbappé, Lucie, les mains sur son visage, est un peu déconcertée. "Oui, c'est manqué pour le PSG qui avait une occasion en or…euh… pfff…", commente-t-elle.
Au desk, raconter "l'histoire" du match
Deux étages plus haut, l’ambiance est plus détendue pour les étudiants en charge du desk. Chacun d'entre eux a deux écrans : l'un pour suivre le match, le second pour débuter le montage. Le casque sur les oreilles, ils doivent sélectionner les meilleurs moments du match pour produire un résumé de 10 minutes.
Un exercice technique qui nécessite de la rapidité. Titouan, 23 ans, estime qu’il y a moins de pression au desk mais admet qu’il faut "être polyvalent pour à la fois regarder le match, monter, écrire le commentaire puis enregistrer la voix". Il faut être "efficace" pour raconter "l’histoire du match", ajoute son camarade Hugo. Les étudiants insistent : le résumé doit rester chronologique.
Juste avant la mi-temps, la tension monte d'un cran dans la salle de desk. "Oh pu… Il peut prendre jaune là-dessus mais il n'y a rien du tout, abominable la faute en plus !", s'indigne Louis, 20 ans, qui préfère attendre la fin du match pour réaliser son montage. "C'est ma façon de travailler… je sais qu'on me le reproche mais bon", s'amuse-t-il.
En face, Maïlys s'inquiète : "Mais vous avez combien de minutes là ? Moi je suis à trois minutes…" "Moi, quatre", réplique Tao. "J'ai déjà mis toutes les grosses occasions, dès que le ballon est proche du but mais comme je n'ai pas de ralenti, c'est plus court, précise Maïlys. En même temps, je ne vais pas mettre tous les ralentis s'il n'y a pas de but !"
Des étudiants passionnés mais journalistes avant tout
Après 45 minutes de jeu, toujours 0-0 pour les deux équipes. Les étudiants, eux, n'ont pas vraiment le temps de souffler. Jean-Philippe Goron les félicite : "C’est bien, il y a des choses qui s’installent." L’ancien journaliste sportif rappelle néanmoins les bases : "L’information principale, c’est l’enjeu : est-ce que le PSG est qualifié ou non ? Ensuite, c’est le score."
Vers 22 heures, le match reprend avec la même intensité. Il faut dire que le rythme est soutenu : le soir, le week-end, les étudiants ont peu de temps pour se reposer. "Et demain, on enchaîne à 9 heures, confirme Sarah, 21 ans. Mais on sait pourquoi on signe."
Pour cette amatrice de rugby, la spécificité du journaliste sportif est de "tout faire dans le rush, en vitesse". Ce soir, en tant que commentatrice, elle parait dans son élément : "C’est stimulant parce qu’on est dans le feu de l’action."
S'entrainer et se former avant d'intégrer les rédactions
Si ce soir ils s'entrainent pour la sixième fois au desk et au commentaire, les étudiants vont vite entrer dans le grand bain. Pour valider leur licence, ils sont tenus d'effectuer deux stages en mars et pendant l’été. Louis explique que le niveau est élevé. C’est d'ailleurs ce qui lui donne le plus "envie de progresser". Formé à tous les médias – télé, radio, web et presse écrite-, il rêve de travailler pour une radio anglaise. Pour lui, c’est le pays du football par excellence, les anglais sont "imprégnés" de ce sport qui "l’anime".
Dans l'amphi, la tension monte quand les buts de Dortmund puis du PSG s'enchainent. À l'annonce des prolongations, les visages se décomposent : rien n'est joué. Au desk aussi, la pression est à son comble au moment de rendre les vidéos. Tout est envoyé quelques minutes après le sifflet final, 1 partout.
"Vous avez progressé, c'est bien mais vous auriez pu aller plus loin, résume Jean-Philippe Goron. Bon allez, pizza !" Il est 23h30, c'est l'heure de la troisième mi-temps pour les étudiants qui débriefent le match en jouant…au baby-foot.
Lucie et Thomas sont soulagés, ils retrouveront leur équipe fétiche en février, contre les Espagnols de la Real Sociedad. De dernières répétitions avant d'être diplômés l'été prochain et pouvoir signer des articles dans les plus grandes rédactions ou commenter les différents événements sportifs des Jeux olympiques. Et pourquoi pas ?
Une année pour se former au métier de journaliste sportif
Pour être admis dans cette formation, la seule condition, c'est d'avoir validé deux années de licence (ou équivalent, soit 120 crédits ECTS). Les étudiants sont sélectionnés sur concours : un dossier avec leurs résultats scolaires et un travail d'écriture puis un entretien. La formation ne dure ensuite qu'un an.
Dans la classe, les profils sont variés : STAPS, licence d’information et communication ou d’histoire, la plupart des candidats sont passés par la case "université" avant d'intégrer la licence professionnelle de l'ESJ. A l'image de Sarah qui, après sa licence LEA italien-espagnol, a candidaté à l’ESJ, comme 200 autres étudiants.
Pour Jean-Philippe Goron, le plus important reste de ne pas recruter de "journalistes supporters". Ce sont avant tout des journalistes de formation, la neutralité et la structuration des informations primes.
Le responsable est aussi vigilant vis-à-vis des étudiantes. Peu nombreuses dans le domaine du journalisme sportif, elles sont tout de même quatre cette année à l'ESJ, un record. Mais les étudiantes le précisent : elles sont là pour devenir journaliste, pas pour remplir "un quota".