Témoignage

"La lutte contre les stéréotypes fait partie de mon rôle" : dès le primaire, des enseignants luttent contre les biais de genre

Selon une sociologue, les enseignants consacrent 44% de leur temps aux filles, contre 56% aux garçons, lesquels sont plus souvent interrogés en mathématiques.
Selon une sociologue, les enseignants consacrent 44% de leur temps aux filles, contre 56% aux garçons, lesquels sont plus souvent interrogés en mathématiques. © Adobe Stock/inspiring.team
Par Sandrine Chesnel, publié le 29 avril 2024
6 min

Nombre d’études ont démontré que les biais sexistes sont transmis aux garçons comme aux filles dès leur plus jeune âge, et influencent leurs choix d’orientation. Témoignages d’enseignants qui tentent de lutter contre ces stéréotypes.

Le constat est sans appel : selon le 6e rapport annuel du Haut Conseil à l’égalité (HCE) paru fin janvier 2024, la famille, le monde numérique, mais aussi l’École sont "les trois incubateurs qui inoculent le sexisme aux enfants".

Selon les auteurs du rapport, non seulement les parents n’élèvent pas leurs filles et leurs garçons de la même manière, notamment en leur offrant des jouets différents, "bras armé du sexisme à la maison", mais en plus l’école et le monde numérique reproduisent ces schémas.

Problème : cette construction sociale du sexisme a des conséquences bien réelles sur l’orientation. Ainsi, 74% des femmes interrogées n’ont jamais pensé à faire carrière dans les métiers scientifiques ou techniques, et aujourd’hui seulement un élève ingénieur sur trois est une fille.

Même en 2024, beaucoup de jeunes continuent de considérer que les filles sont destinées aux métiers du soin et les garçons aux métiers d’action.

L'École, un lieu de reproduction des biais de genre

Or l’École est un lieu de reproduction des biais sur le genre. Pour l’expliquer, le rapport du HCE liste les constats dressés avant lui par des sociologues. Claude Zaidman a ainsi relevé que les enseignants, sans s’en rendre compte, "utilisent" souvent les filles comme des "auxiliaires pédagogiques" pour calmer les garçons. Marie Duru-Bellat a, elle, démontré que les enseignants consacrent 44% de leur temps aux filles, contre 56% aux garçons, lesquels sont plus souvent interrogés en mathématiques.

Mais de plus en plus d’enseignants se mobilisent pour combattre ces stéréotypes. C'est le cas de Sophie, 50 ans, professeure des écoles en CM2 à Paris (75). "Il y a sûrement des biais que je transmets malgré moi, mais je suis très vigilante. Par exemple, depuis sept ou huit ans, quand j’interroge les élèves, je pioche leur nom au hasard dans une boite. Je veille aussi à une distribution égalitaire des rôles dans la classe, avec un délégué garçon et une déléguée fille."

Dans l’école de Sophie, les enseignants ont également décidé d’interdire le foot pendant la récréation, car cette pratique exclut trop les filles et leur laisse peu d’espace. Or, selon des chiffres cités dans le rapport du HCE, le foot constitue 90% des espaces disponibles dans les cours de récréation.

Comme Sophie, Delphine, 46 ans, professeure des écoles en Seine-et-Marne, en CP-CE2, n’a jamais été formée par l’Éducation nationale à la prévention des stéréotypes sexistes. Elle s’est formée seule et propose notamment des séquences de sensibilisation en EMC (enseignement morale et civique). "Par exemple, je leur demande de trier des personnages en deux catégories, en fonction de la façon dont ils sont habillés ou en fonction du métier qu’ils exercent, et ensuite, on en discute tous ensemble. C’est ce type d’exercice qui m’a permis de me rendre compte que des enfants de six ans avaient déjà beaucoup de clichés bien ancrés !"

Delphine est aussi attentive au quotidien dans le choix des petites phrases sur lesquelles ses élèves travaillent. Ainsi, dans sa classe, les élèves ont pu lire : "Papa fait la vaisselle", et "Maman est chirurgienne".

Une "résistance" des garçons

Matthieu, 44 ans, professeur des écoles en CM2 en Lorraine, ne s’est lui toujours pas tout à fait remis de son choc quand, jeune enseignant, il a découvert l’expression "l’heure des mamans". "J’avais un père instit’ et c’est lui qui gérait la famille donc ça me semblait encore plus décalé, j’ai alors imposé 'l’heure des parents' à la place."

L’enseignant s’inquiète cependant : "Plus ça va, plus on a des petits 'machos' devant nous". Une impression que confirme l’étude du HCE, qui identifie une forme de "résistance" des hommes de 25 à 34 ans. Dans cette catégorie, la proportion de ceux qui sont persuadés qu’une femme doit "s’arrêter de travailler pour s’occuper des enfants" a gagné sept points en un an, à 34%.

"Lors des cours de sport, quand je choisis une fille comme capitaine d'équipe, les garçons tiquent, souligne Matthieu, mais je pense que c’est aussi efficace d’agir de cette manière que de faire des séquences dédiées à la lutte contre les biais et identifiées comme telles par les élèves."

Un travail de déconstruction qui dépasse l'école

Plus jeune, Celian, 28 ans, est enseignant remplaçant en CM1-CM2 et en Segpa. Contrairement à ses aînés, il a reçu des cours sur les stéréotypes sexistes en formation, à l’INSPE de Lyon (69).

"Nous avons travaillé sur la littérature, sur l’orientation et l’importance de la mixité. Je considère que la lutte contre les stéréotypes, mais aussi contre le racisme fait entièrement partie de mon rôle d’enseignant. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles j’ai choisi ce métier. Et je suis persuadée que ma posture vis-à-vis d’eux, les mots que je choisis, influence forcément leur représentation", estime l'enseignant.

Matthieu nuance, de son côté, le rôle de l'école. Même avec la confiance des parents, tout ce travail de déconstruction des clichés pèse peu par rapport aux représentations genrées véhiculées par la société. "On peut toujours lutter contre les stéréotypes en classe, les élèves vont nous écouter, mais tout peut s’effacer en dehors de l’école" souligne aussi Delphine.

En dehors de l’école, mais aussi sur les réseaux sociaux : ainsi, d’après le HCE, 68% des vidéos les plus vues sur Instagram relaient des stéréotypes qui assignent les femmes à la maternité. Difficile de lutter.

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