Perte d'attractivité du métier d'enseignant : "être prof a perdu de son prestige"
Le nombre trop faible d'inscriptions aux concours, qui se confirme depuis plusieurs années, révèle une perte structurelle d'attractivité du métier d'enseignant, liée notamment au climat social anxiogène qui entoure la profession.
L'indice le plus visible se trouve aux portes du métier : les inscriptions aux concours d'enseignants ne font plus le plein, ces dernières années, révélant une perte d'attractivité de taille. "Nous sommes dans une crise de recrutement majeure qui menace profondément le système", affirme Laurent Frajerman, historien et chercheur associé au CERLIS, spécialiste des politiques éducatives.
Selon les derniers résultats publiés par le ministère de l'Education nationale, plus de 3.100 postes n'ont pas été pourvus à l'issue des concours de recrutement externes publics de 2023.
Le manque d'effectifs est d'autant plus significatif qu'une vague de départs à la retraite doit être comblée d'ici 2030 : "On a besoin de recruter 329.000 enseignants, premier et second degrés confondus", estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat enseignant SNES-FSU, s'appuyant sur les projections de la DARES.
L'ensemble de la profession se mobilise le 1er février pour réclamer une augmentation des salaires et un arrêt des suppressions de postes.
La question salariale au centre des enjeux
Une des causes évidentes de cette perte d'attractivité concerne la rémunération qui a connu une forte dévalorisation depuis les années 1980. La raison ? Si le SMIC - qui suit le niveau de l'augmentation des prix - a connu plusieurs revalorisations, le point d'indice - à partir duquel les salaires des fonctionnaires sont calculés -, n'a pas suivi le même mouvement. "Il a été déconnecté de l'inflation en 1983", rappelle Eric Charbonnier, analyste de l'OCDE.
Selon les calculs de l'économiste Lucas Chancel, si à l'époque, un enseignant débutant pouvait gagner jusqu'à 2,2 fois le SMIC (soit plus du double de 980 euros), en 2022, il ne touchait plus qu'1,14 fois le SMIC.
"Depuis, les débuts de carrière ont connu une revalorisation de leur salaire", précise Sophie Vénétitay. Cependant, cette revalorisation reste insuffisante, notamment pour les milieux de carrière.
"En 17 ans d'exercice, on sait qu'un enseignant ne va progresser que de 400 euros sur son salaire", déplore Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU, syndicat majoritaire pour l'enseignement professionnel. Il s'appuie sur des documents fournis par le ministère dans le cadre des rencontres sur l'attractivité, débutées à la rentrée 2023 avec les organisations syndicales et que l'Etudiant a pu consulter.
La revalorisation des salaires débutants
A la rentrée 2023, la revalorisation de la prime d'attractivité est entrée en vigueur pour les enseignants débutants.
Cette mesure s'applique pour les 15 premières années de carrière. L'objectif : les jeunes enseignants entrent dans le métier avec au moins 2.000 euros de salaire par mois.
L'enjeu des évolutions de carrière d'enseignants
Résultat : "en mathématiques, par exemple, le secteur privé devient plus attractif parce qu'il offre de meilleures rémunérations", illustre Eric Charbonnier. Même constat concernant la mobilité. "Le métier d'enseignant est par essence assez incompatible avec des possibilités d'évolution de carrière", affirme Laurent Frajerman.
Un manque de perspectives qui peut jouer sur la volonté des jeunes de s'engager dans la profession. Selon Eric Charbonnier, s'il y a 30 ans, la sécurité de l'emploi faisait rêver, aujourd'hui, c'est plutôt la volonté d'être utile qui domine. Or, "l'éducation n'est plus le seul secteur où l'on peut se sentir utile lorsqu'on est engagé", pointe l'analyste, en mentionnant des secteurs comme l'environnement ou la transition écologique.
Des conditions de travail pointées du doigt
D'autant qu'au quotidien, une large partie de la profession dénonce des conditions d'enseignement de plus en plus dégradées. Parmi elles, les classes surchargées ne leur permettent pas de réaliser leur travail comme ils le souhaiteraient.
"Les classes françaises sont plus chargées que la moyenne des pays de l'OCDE", précise Eric Charbonnier, avec 26 élèves par classe au collège, contre 21 en moyenne dans les autres pays. Ce que confirme un rapport ministériel publié en décembre 2022.
En parallèle, l'accumulation de nouvelles missions, ces dernières années, accroit la charge de travail des enseignants en exercice. "Le métier se complexifie et cela n'est pas suffisamment pris en compte", regrette Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du syndicat SE-UNSA.
L'image d'un métier difficile
Pendant longtemps, l'image de l'enseignant, "c'était celle du prof qui avait beaucoup de vacances scolaires", estime Laurent Frajerman. Puis, selon lui, "le discours a changé" : aujourd'hui, l'image d'un métier difficile perce de plus en plus dans l'opinion.
"On sait qu'il y a de l'indiscipline, qu'il faut gérer des groupes de classe pas faciles", ajoute le chercheur. D'après les différents interlocuteurs interrogés, la médiatisation des agressions de professeurs, et du climat en classe a également son rôle à jouer.
Sophie Vénétitay dresse alors un constat amer : aujourd'hui "être prof a perdu de son prestige". Pour elle, le mouvement de "prof-bashing" en 2020, qui consistait à critiquer un supposé manque d'investissement des enseignants dans les cours à distance, pendant le confinement, a cristallisé les tensions.
Le chantier de la formation initiale
D'après la majorité des interlocuteurs interrogés, les études qui mènent au métier d'enseignant peuvent également jouer sur cette perte d'attractivité.
A ce titre, les enseignants se sentent généralement moins bien préparés en matière de pédagogie et de gestion de classe, que la moyenne des pays européens. Selon une étude de l'OCDE, 1 jeune enseignant sur 4 s'estime bien formé sur ces questions, contre près de la moitié pour les autres pays de l'UE.